Le 6 février 2023, deux séismes ont eu lieu à quelques heures d'intervalle dans le centre/sud de la Turquie, à une centaine de kilomètres au Nord de la frontière avec la Syrie. Le premier, nommé séisme de Pazarcik, est de magnitude 7.7, alors que le second, celui d'Elbistan est de magnitude 7.5. Un troisième séisme a eu lieu le 20 février. La Turquie n'avait pas connu de séismes aussi meurtriers depuis les séismes d'Ismit de 1999. Le but de cet article est de montrer l'apport de la télédétection dans la caractérisation de cet événement, aucun commentaire ne sera fait sur la catastrophe humaine provoquée par ce séisme, dans la mesure où l'écriture de cet article est faite à chaud, avec peu de recul sur l'événement.
La télédétection permet de caractériser finement les déplacements liés aux processus géologiques. Parmi eux, l'interférométrie RADAR et les techniques de corrélation d'images permettent de construire des cartes précises de la déformation et de mieux caractériser les propriétés des grands séismes. Après avoir présenté les données sismiques, on présentera deux interférogrammes ayant couvert les deux séismes du 6 février, puis on remettra l'étude de ces interférogrammes dans le contexte tectonique de la Turquie.
L'interférométrie RADAR permet de mesurer la déformation du sol avec une précision centimétrique sans avoir besoin d'instruments au sol. Cette mesure nécessite deux images, l'une prise avant l'événement ayant provoqué la déformation, et l'autre prise après l'événement. Les satellites RADAR émettent un signal RADAR, qui est rétrodiffusé par le sol vers le satellite. Le satellite mesure l'intensité du signal réfléchi, ainsi que la phase, dont la valeur dépendra de la distance parcourue par le signal RADAR. La mesure de la déformation est faite en comparant la phase du signal reçu pour chaque pixel entre les deux acquisitions. Cette déformation n'est connue qu'à 2pi près, d'où l'apparition de "franges" sur les interférogrammes. La mesure de la déformation correspond plus précisément à la quantité de déplacement dans la direction du satellite (Line Of Sight ou ligne de visée), le satellite prenant une image en "regardant" vers sa droite. (plus de précisions dans l'article Interférométrie radar : principes et utilisation dans la surveillance de la déformation du sol)
Les satellites de la constellation Sentinel-1 de l'ESA imagent en permanence la surface du sol, en parcourant une orbite polaire : ils peuvent prendre des images au cours de leur remontée vers le Nord (passe ascendante) ou lors de leur descente vers le sud (passe descendante). Comme il "regardent" vers leur droite, un interférogramme calculé en passe ascendante correspondra approximativement à une ligne de visée vers l'Est, alors que la ligne de visée sera vers l'Ouest en passe descendante.
Les deux interférogrammes mesurent la même déformation et ont pourtant deux aspects différents. Ceci est la conséquence des directions relatives de la ligne de visée et de la faille.
L'analyse des interférogrammes étant difficile, il est plus commode de convertir la mesure en radian (modulo 2pi) en une mesure en mètres, ce qui est possible puisque une frange de déformation correspond à une demi-longueur d'onde du signal RADAR utilisé. Cette conversion s'appelle "déroulement" de l'interférogramme, et permet de mieux visualiser la déformation (la mesure en mètre est aussi pratique pour intégrer ces données dans des modèles pour retrouver les paramètres de la source à l'origine de la déformation).
Plusieurs événements parasites peuvent perturber le déroulement d'un interférogramme. Si les propriétés géométriques du sol changent entre les deux acquisitions, alors la phase reçue par le satellite reflètera ces changements de propriétés : le signal correspondant au déplacement sera alors partiellement noyé dans ces signaux parasites. Ces changements de propriétés peuvent par exemple correspondre à des chutes de neige, une variation de la végétation (entre l'hiver et l'été), des coulées de lave, ou encore dans le cas de séismes destructeurs, des bâtiments effondrés (plus de détails : voir figures 12 et 13 de l'article Interférométrie radar : principes et utilisation dans la surveillance de la déformation du sol).
L'interférométrie permet de mesurer la déformation seulement dans l'axe de visée du satellite. En revanche, la corrélation d'images permet de mesurer la déformation horizontale (Plus de précisions dans l'article Corrélation d'images – Principes et utilisation dans la surveillance de la déformation du soldans la surveillance de la déformation). Les figures suivantes montrent que la déformation peut être mesurée de cette manière.
La figure 11 montre que les deux failles ne sont pas connectées, il s'agit bien de deux séismes différents, même si le premier a pu déclencher le second. La partie Ouest de la faille Nord présente un motif de déformation typique des failles décrochantes : à l'extrémité de la faille le champ de déformation s'éloigne de la faille comme ce qui et attendu dans ce cas (voir animation de la figure 3
). On retrouve globalement ce comportement pour la faille Sud, dont la géométrie est plus complexe.
La combinaison de l'interférométrie et de la corrélation d'images provenant de différents satellites (visible et RADAR) permet de recalculer les composantes Est/Ouest, Nord/Sud et verticale de la déformation.
Les rectangles noir correspondent à l'emprise des différents interférogrammes. (données Turquie : d'après Jolivet et al. (2013), Arabie : d'après Viltres et al. (2022) ; limites de plaques : Hasterok et al. (2022) ; slab :Hayes et al. (2018),CC-BY-NC-SA Aurélien Augier)
Les rectangles noir correspondent à l'emprise des différents interférogrammes. (données Turquie : d'après Jolivet et al. (2013), Arabie : d'après Viltres et al. (2022) ; limites de plaques : Hasterok et al. (2022) ; slab :Hayes et al. (2018),CC-BY-NC-SA Aurélien Augier)